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[liste_ygg] Suite la sortie du film : « la Plus Précieuse des marchandises »
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- From: Yves Grosset-Grange <adresse@cachée>
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- Subject: [liste_ygg] Suite la sortie du film : « la Plus Précieuse des marchandises »
- Date: Tue, 17 Dec 2024 14:07:47 +0100
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Bonjour à tous. Voilà quelque chose qui contribue à redonner une boussole à
notre époque. Cordialement L’OBS Publié le 17 novembre 2024.
Dialogue entre Delphine Horvilleur, écrivaine et femme rabbin française, et Michel Hazanavicius, réalisateur et scénariste français,
Temps de lecture : 7 min. Entretien Tiré du conte de Jean-Claude Grumberg, le film d’animation « la Plus Précieuse des marchandises » rend hommage à ces hommes et ces femmes qui ont su se lever face à la barbarie. Pour en parler, « le Nouvel Obs » a réuni son réalisateur et la célèbre femme rabbin. On n’attendait pas le réalisateur de « The Artist » et d’« OSS 117 » dans le cinéma d’animation. Avec « la Plus Précieuse des marchandises », Michel Hazanavicius, qui dessine depuis toujours, évoque l’Holocauste à travers l’histoire d’un bébé jeté depuis un train par ses parents déportés et recueilli par un couple de simples bûcherons. Déchirant, son film, adapté du conte de Jean-Claude Grumberg et présenté au dernier Festival de Cannes, s’inscrit dans le passage de l’ère du témoignage sur la Shoah, celle de Claude Lanzmann, à l’ère de la fiction, devenue nécessaire au moment où disparaissent les derniers survivants. Il a choisi d’en discuter avec la rabbin Delphine Horvilleur, « une voix humaniste à laquelle on peut se raccrocher dans le brouhaha ambiant »Delphine, qu’avez-vous pensé du film de Michel ?Delphine Horvilleur Je l’ai vu avec ma fille de 12 ans, il m’a bouleversée. Et je crois qu’elle aussi. Le film a une force de dialogue intergénérationnel très puissante.Michel, comment avez-vous découvert le conte de Jean-Claude Grumberg dont est tiré le film ?Michel Hazanavicius Le producteur Patrick Sobelman m’en a envoyé les épreuves avant parution. Il se trouve que Grumberg est le meilleur ami de mes parents depuis leurs 15 ans. Il savait que je dessinais, et Sobelman et lui avaient en tête un film d’animation. J’ai été chamboulé par la lecture du livre qui a faussement l’air d’une petite chose adressée aux enfants.D. Horvilleur Ce qui est beau, c’est cette forme épurée, presque enfantine, pour traiter un sujet aussi tragique. M. Hazanavicius C’est le coup de maître de son geste littéraire : Grumberg a adopté la forme du conte et s’y est tenu. Il ne s’est pas dit « je vais traiter le sujet de la Shoah ». Cela fait soixante ans qu’il écrit sur la question, ce sont ses fantômes. L’idée du livre est née d’une plaque inaugurée dans le 10e arrondissement parisien, près du square des Récollets, à la mémoire de deux bébés de 28 jours qui avaient été déportés. Après, pourquoi l’animation ? Parce que le dessin impose une distance. On risque moins l’obscénité qu’avec des acteurs quand on entre dans un convoi de déportés. L’animation est au cinéma ce que le conte est à la littérature, c’est plus large que la réalisation. D. Horvilleur Sur la question de la représentation de la Shoah, ou plutôt de l’impossibilité de sa représentation, je te rassure, ton film est parfaitement « casher ». M. Hazanavicius On ne peut pas montrer ce qui s’est
passé, on sortirait instantanément du champ du spectacle et
les gens quitteraient la salle. Pour autant, on ne peut pas
montrer autre chose ou proposer une version digeste des
camps. Le seul moyen, c’est d’évoquer, de suggérer. Et de
faire confiance au spectateur. D. Horvilleur Déjà, « Coupez ! » était un film sur la circoncision. Et « The Artist », sur la mystique juive : c’est Dieu qui se tait. Toute la filmographie de Michel Hazanavicius est un truc de rabbin mais il ne le sait pas... (rires) M. Hazanavicius La prise de conscience de la bûcheronne, c’est sa bascule à elle, qui est une Juste immédiatement, sans y penser. Alors que sa première prière était un peu béate – la bûcheronne demandait à Dieu de lui donner quelque chose –, sa deuxième prière marque une nouvelle compréhension du libre arbitre. J’aimais l’idée d’héroïser la figure du Juste, qui ne l’est pas assez, contrairement à celles du bourreau ou du résistant qui sont d’emblée cinématographiques. Le Juste est un héros du quotidien, celui qui a sauvé l’honneur de l’humanité, en ayant simplement une boussole morale en bon état. Grâce à la forme du conte, les mots « juifs » ou « Auschwitz » ne sont jamais prononcés, parce que c’est d’abord une histoire d’humains, universelle. Cela raconte qu’on a tous en nous un génocidaire, une victime et un Juste. Et il est utile de savoir que nous pouvons solliciter ce dernier en nous, sans tomber dans le « devoir de mémoire ». Delphine, que vous évoque cette _expression_ « devoir de mémoire » ? D. Horvilleur Le mot « devoir » me semble assez mal approprié. On ne peut pas vivre sans mémoire, la question est de savoir comment on la porte et la transmet pour qu’une nouvelle génération puisse s’en emparer, en comprenant qu’on parle d’elle à travers d’autres. En t’écoutant, je pensais à cette phrase centrale du Talmud : « Là où il n’y a pas d’homme, efforce-toi d’en être un. » Ecrite il y a des milliers d’années, elle pourrait être un sous-titre à ton film. Comment résister en tant qu’homme quand l’humanité est en faillite ? C’est une question que l’actualité nous pose encore de manière vive. Le Juste est celui qui sait que son humanité est engagée et qu’il risque d’être à tout jamais défiguré par les événements. Mais j’ai tout de même l’impression que dans les cérémonies autour de la Shoah ou par le fait que l’Etat d’Israël a décerné ce titre de « Juste parmi les nations » très tôt après sa création, on en a fait un statut très fort. J’ai longtemps vécu dans le Marais, juste à côté de l’allée des Justes qui égrène leurs noms et longe le Mémorial. J’avais pour tradition de demander à mes enfants, à chaque fois que nous y passions, de retenir un nom. Mais, là où je te rejoins, c’est que c’est un petit passage très peu emprunté. On aurait dû mettre l’allée des Justes sur les Champs-Elysées !Les derniers survivants de la Shoah
sont en train de disparaître. L’idée que ce film pourrait
servir de relais aux témoignages directs, notamment dans
les écoles, était-il pour vous une motivation ?
M. Hazanavicius Je suis réalisateur, je ne suis ni
rabbin ni prof. Mais il est vrai qu’on va bientôt célébrer
les 80 ans de la libération d’Auschwitz, ce qui signifie
aussi que l’événement est en train de sortir de l’histoire
contemporaine. Un gamin de 10 ans aujourd’hui a le même
rapport que moi à l’affaire Dreyfus. Cela change la nature
de sa représentation et ça crée sans doute une forme de
responsabilité. Il y a eu l’ère du témoignage et des
interdits lanzmanniens qui étaient justes en leur temps.
Mais il est naturel que la fiction s’empare désormais de ce
champ. Bérénice [Béjo, sa femme, NDLR] m’a
tout de suite dit : « Tu ne peux pas ne pas faire ce film. » Et
cela a pris six ans. |
- [liste_ygg] Suite la sortie du film : « la Plus Précieuse des marchandises », Yves Grosset-Grange, 17/12/2024
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